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La photo fatale

Je suis fébrile.

Je viens juste d’acheter un appareil photo, et l’envie de l’essayer me presse.

Arrivé chez moi, je me précipite sur les boîtes pour en extraire leur contenu.

Le boîtier est beau, c’est le plus perfectionné que j’aie pu trouver.

Quant aux objectifs, j’ai porté mon choix sur un zoom très lumineux, et sur un impressionnant téléobjectif.

J’installe les piles et monte le zoom.

Le viseur est clair et me permet de voir la totalité de l’image, malgré mes lunettes.

Un fauteuil m’accueille et je me mets à dévorer les notices, celle du boîtier étant bien évidemment la plus épaisse.

Habitué à la technique, les choses sont vite comprises, et me voilà en mesure d’exploiter toutes les possibilités de ma nouvelle acquisition.

Je charge une pellicule et décide d’aller faire mes premières photos en ville, car le temps s’y prête.

Le moindre monument est un alibi pour presser le déclencheur.

Mon zoom me permet de cadrer parfaitement mes sujets.

Pour terminer ma pellicule, je vais sur le port, afin d’immortaliser ce superbe endroit.

Je rentre, ravi.

Demain, le Président de la République se rend dans notre cité afin d’accueillir l’un de ses homologues.

Un « sommet » doit avoir lieu pendant deux jours.

De mon bureau, j’ai accès au toit de l’immeuble, d’où j’ai une vue parfaite sur la Préfecture et ses parcs.

Il me sera certainement possible de photographier les deux hommes grâce à mon téléobjectif.

Seul problème, le bâtiment étant dans le périmètre de sécurité, il y aura deux tireurs d’élite sur le toit.

J’espère qu’ils me laisseront utiliser mon appareil.

Mon réveil sonne.

Je suis prêt.

Je prends ma sacoche photo et me rends à mon travail.

Il me faut montrer à maintes reprises mon badge pour franchir les cordons policiers.

Après de nombreuses marches, j’accède enfin à mon bureau.

Par une fenêtre, je vois que deux hommes sont effectivement postés sur le toit.

Je commence à traiter les affaires courantes.

Au bout d’une heure, une collègue vient me prévenir de l’arrivée des chefs d’État.

Je prends mon attirail, passe dans le grenier et monte le petit escalier qui permet l’accès au toit.

Je me tiens bien droit et commence à cadrer et à faire ma mise au point.

Aussi, je ne vois pas l’un des deux hommes se retourner, me regarder une fraction de seconde, et tirer.

Je suis à l’hôpital, avec des tuyaux partout.

Mon appareil photo est sur une chaise, à côté du lit.

Le téléobjectif a été endommagé dans la chute.

Je ne pense pas qu’il souffre, lui !

Je cherche une explication à ce qui m’est arrivé.

Je regarde à nouveau mon reflex, pour qu’il m’aide à trouver.

Fixant l’inscription au-dessus de l’objectif, sur le prisme, je comprends tout à coup.

Le mot CANON y est sérigraphié.

C’est ce qui a dû affoler mon exécuteur.

« Mais c’était la marque… » furent mes derniers mots.

© PF/Grinçant.com (Projections 1992-1993)

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