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Au service de la République

Je n’ai pas réussi grand-chose dans la vie.

Ma carrière professionnelle est très ordinaire.

Ne me parlez pas de compétence, ce mot m’est étranger.

Je viens de faire un bilan, c’est plutôt négatif.

À l’approche de la quarantaine, il me faut gagner en honorabilité.

J’ai du temps de libre.

Je vais me présenter aux élections communales.

Le poste de maire ferait de moi le premier notable du patelin.

Le scrutin approche.

La campagne bat son plein.

Je n’ai pas de réel programme, mais les électeurs ont l’air de m’apprécier.

Il faut dire que le maire en place n’est plus en odeur de sainteté.

J’ai des chances de gagner.

Effectivement, je viens de gagner au tirage.

Les bulletins portant mon nom étaient les plus nombreux.

Je suis maire.

Cela me confère également les pouvoirs d’un officier de police judiciaire.

Je dois faire respecter la loi dans ma commune.

Je vais enfin être respecté.

Les agents de la mairie sont compétents.

Il me suffit de signer les documents qui me sont soumis.

Tout va bien.

Je viens d’être démarché par un parti politique.

Ils étaient convaincants, j’ai plongé.

Me voici encarté.

En échange, ils m’assurent de leur soutien.

Justement, les élections cantonales approchent.

Je vais m’y présenter.

Le parti fait de moi un candidat présentable.

Ils ont même retouché la photo imprimée sur les affiches.

Un candidat doit avoir une belle gueule.

C’est la soirée électorale.

Je suis anxieux, les résultats arrivent au compte-gouttes.

Victoire, je suis élu.

Je suis conseiller général.

J’ai droit à une jolie cocarde tricolore qui fera le meilleur effet dans ma voiture.

Je vais pouvoir me garer n’importe où.

En plus, du fait de mon appartenance politique, je viens d’être nommé vice-président du conseil général.

De notable communal, je suis promu notable cantonal, voire départemental.

Ça n’est pas trop prenant.

Les services sont compétents, il me suffit de signer les documents qui me sont soumis.

En échange, je perçois une indemnité conséquente.

Elle est bien supérieure à mon salaire d’employé même pas modèle.

Lorsque je participe aux réunions, j’ai également droit à des primes.

En quelques années, quel chemin parcouru !

Seule ombre au tableau, le parti me demande un service.

Un petit jeu d’écritures permet d’aider à son financement.

C’est la moindre des choses.

De plus, les risques sont minimes.

Rien ne m’arrêtera.

Je vais me présenter aux législatives.

Là encore, le parti est derrière moi.

Son soutien est efficace.

Je devance mon principal adversaire de plus de dix points.

Je viens d’être élu député.

De notable départemental, je suis promu notable national.

Là, c’est le grand jeu.

Cocarde tricolore « Assemblée nationale ».

Les limitations de vitesse ne me concernent plus.

Le permis à points, c’est pour les électeurs, pas pour les élus de prestige.

Des indemnités absolument royales, inespérées.

J’ai droit à une attachée parlementaire.

Ma copine Delphine fera l’affaire.

Tous mes frais sont pris en charge.

On m’appelle « Monsieur le Député ».

Ça n’est pas très fatigant.

Si je ne suis pas dans l’hémicycle, d’autres votent pour moi.

Je suis respecté.

Je suis l’élite.

Merci le parti !

Le Président veut embêter ses adversaires.

Je suis pressenti comme ministre.

Cela ne fera que récompenser mon charisme.

J’attends ma nomination avec impatience.

Malheureusement, il y a un os.

Un bouseux de journaliste vient de publier un article sur mon compte.

Je serais responsable d’une magouille pour financer mon parti.

J’aurais également détourné de l’argent au passage.

C’est trop injuste, ce poste ministériel va me passer sous le nez.

Je suis sali par des gens plus pourris que moi.

C’est vrai, quoi !

En moins de dix ans, je suis devenu député.

Pour mes divers mandats, la République me verse plus de quinze fois ma paye d’employé de bureau.

J’ai pu m’acheter quatre maisons et un bateau.

En plus, j’ai beaucoup voyagé.

J’ai un pouvoir fou, malgré mon incompétence.

Pourtant je n’ai jamais détourné d’argent pour mon propre compte.

Je suis honnête.

Malgré ma position privilégiée, je ne me suis pas enrichi personnellement.

© PF/Grinçant.com (Projections 1992-1993)

1 commentaire pour “Au service de la République”

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