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C’était sa dernière tournée, mise en bière et mort subite

C’était sa dernière tournée, mise en bière et mort subiteDix ans qu’il tenait cet établissement.
En centre-ville.

Petit hôtel d’une dizaine de chambres très spacieuses.
Restaurant, plutôt fréquenté le midi du fait d’une formule sympa.
Bar, avec sa clientèle d’habitués.
Belle terrasse, couverte l’hiver.
Wi-Fi partout.
Coin PMU pour générer un supplément d’ambiance.

Un patron bien jovial, bonhomme, à la voix chaleureuse.
Plusieurs métiers dans la même journée.
Mais il donnait toujours l’impression d’être de bonne humeur.

Tutoyant certains, vissés au zinc.
Les appelant par leur prénom ou avec un surnom.
Offrant des tournées à qui en redemanderait.

En mai, en parlant affaires, il m’a dit :
– J’arrête l’hôtel, j’en ai marre.

Trop difficile à remplir avec la concurrence des chaînes implantées en périphérie.
Du stress, beaucoup de disponibilité pour une rentabilité devenue incertaine.
Il m’a dit vendre les deux étages, qui seront transformés en studios.

Et le restaurant/brasserie ?
Oh ! Ça, il pensait le garder, la retraite, ça n’était pas encore pour tout de suite !
Idem pour le bar/PMU.
L’ambiance, les vies qui défilent, se racontent, se liquéfient…

– Ah bon, vous êtes sûr, votre décision est définitive ?
– Oui, certain, normalement je signe la vente dans une semaine.

Puis le panneau « Hôtel » a disparu…
Le restaurant, le bar, la terrasse, le PMU continuaient à tourner.

Et un jour, comme ça, en passant, nouveau nom, l’enseigne était changée.
Vente de pizzas à emporter en plus.

Apparemment, les mêmes clients au bar, les mêmes en terrasse.
Les habitués ont des habitudes.

Et hier, au hasard d’un rendez-vous professionnel, chez l’un de ses fournisseurs…
– Au fait, vous avez des nouvelles de Claude, il devait vendre son hôtel, mais l’enseigne a aussi été changée ?
– Ah oui, celui qui est décédé ?
– Il est mort ?
– Oui, d’une crise cardiaque, une semaine avant la signature de la vente du bar-restaurant !

59 ans, la volonté de lâcher un peu de lest…
En fait, il la voulait sa retraite, et il voulait aussi vendre le reste de l’établissement.
Mais même pas eu le temps de réaliser cette dernière opération, de réaliser ce qui lui arrivait…
Fibrillation sans défibrillateur début juillet.

Et puis, envie de lever le doute, de vérifier cette mauvaise nouvelle.
Une petite recherche, et l’information est confirmée.

Par le biais d’un triste site internet que l’on préférerait ne jamais visiter.
Un site de « Commémoration familiale ».

Avec de la presse locale derrière, en cheville, pour les avis d’obsèques.

Avec des attentions commerciales qui donnent les boules :

  • Courriers types après décès (5 €)
  • Fleurir la sépulture (de 0 € à 35 € pour la bougie « virtuelle », jusqu’à plus de 210 € pour des fleurs « réelles »)
  • Entretenir la sépulture (de 27 à 68 € par mois selon le nombre d’interventions par an)

Et surtout, un autel dédié :

L'autel virtuel de Claude

Et ce brave Claude, qui en a vu défiler, des Dédé, des Totors, des Du-Con (bourgeoisie à particule)…
Il a aussi son livre d’or, avec ses « avis » et son registre de « condoléances » :

  • 2 « Avis » (remerciements de la famille)
  • 3 condoléances
  • 0 « marque(s) de sympathie »

Cela en plus de quatre mois.
Décidément, mourir est vraiment cynique à notre époque.

Que ceux et celles qui se croient isolés se rassurent…
Même en ayant vu passer et servi des milliers de gens, et en en ayant tutoyé un bon nombre, ça n’est guère mieux.

D’un côté du zinc, une voix habituelle demande « Une pression SVP »
Et de l’autre, on la lui tire, sa pression.
Mais ce qui compte, finalement…
C’est le liquide, les degrés d’alcool, et la mousse.
Pas celui ou celle qui sert.

Quant aux hommages, ils sont maintenant virtuels, et au prix fort.

Pour le reste, il y a des hasards surprenants, comme des signes positifs.

Le téléphone a sonné en pleine rédaction de ce billet…
Et je puis vous dire que Claude était quelqu’un de bien.
Qui n’est plus, mais qui laisse quelques proches de qualité.

C’est rassurant, ça donne de l’espoir, et en ce moment, il en faut !

Crédit photo/montage : Bière Mort subite & Flamme de bougie/cierge © PF/Grinçant.com (2013)
L’autel virtuel de Claude : Je préfère ne pas préciser le site, information sur demande.

© PF/Grinçant.com (2013)

8 commentaires sur “C’était sa dernière tournée, mise en bière et mort subite”

  1. Avatar photo

    Ce n’est qu’une victime de plus de l’indifférence générale !
    je crois bien qu’on en a déjà parlé il n’y a pas longtemps.
    Lu cette semaine ou la semaine dernière un entrefilet comme ils disent sur un couple retrouvé mort dans leur appartement.
    Morts…
    Depuis le mois de mars…

    Au moins dans mon coin on a un peu plus de respect pour les gens et pour les morts.
    Hier, enterrement d’un jeune du village ( 17ans !!! ) victime d’un accident de la route.
    Jamais vu autant de monde !

    Le respect !
    pour les vivants et pour les morts.

    1. Avatar photo

      Non, je ne dirais pas cela.
      Je pense qu’il y avait du monde aux obsèques « réelles ».
      D’autant que cette personne avait eu un autre établissement auparavant.

      Ce que je veux mettre en avant, c’est le sordide de ce type de site de « commémoration familiale ».
      Le fait qu’il n’y ait quasiment rien sur le livre d’or est finalement rassurant.

      Plus grave…
      Pas la moindre réaction du maire par rapport à la fermeture de l’unique hôtel du centre-ville…
      Pas le moindre mot dans la gazette communale quant au décès…
      Par contre, un bel encart pour le repreneur et le nouveau nom (sans faire référence à l’événement précédent).

      Et puis, je veux aussi souligner que l’information circule mal.
      Il faut dire que je ne suis pas abonné aux rubriques nécrologiques.
      Mais parmi les personnes rencontrées, il n’est pas normal que je l’apprenne aussi tard, et dans de telles conditions.

      Tout le monde se dit stressé et suroccupé, ça doit être pour cela…

      Enfin, voilà quelqu’un qui a trimé toute sa vie, en commençant très jeune, et qui meurt avant de pouvoir en profiter.
      Qui plus est dans son établissement.
      C’est très symbolique et symptomatique de notre société.

      1. Avatar photo

        Je n’avais pas vu la chose sous cet angle là. Mais effectivement la dématérialisation et l’appât du gain sont les bases de cet épisode sordide voir malsain.

        Le maire et sa gazette municipale… à rajouter à la cohorte de cons incapables de voir autre chose que les élections suivantes.
        Pour l’information qui circule mal, je suis pas d’accord ! la preuve, tout le monde sait que la France est qualifiée. Votre mort c’est hop! aux oubliettes… (c’est du second degré, hein! )

        Pour le stress, je renvoie aussi à « lâcher prise ».
        Si encore sa mort pouvait servir d’exemple à d’autres pour profiter un peu de la vie après avoir trimé sans relâche pendant tant d’années.

        Mes condoléances et bien du courage à la famille pour la suite avec ses hordes de vautours de toutes sortes !!!
        Souvenez vous qu’il est facile de mourir, les emmerdes c’est pour ceux qui restent.

        1. Avatar photo

          Là, nous sommes clairement dans l’appât du gain, et je suis resté stupéfait devant ce site « funéraire ».

          Déjà, cette personne était quasiment introuvable sur le Net de son vivant, et on la trouve en une seconde une fois décédée, un comble !

          Ensuite, elle est adossée à une « boutique » qui ose proposer ce genre de choses « virtuelles » :
          Objets funéraires virtuels
          Il faut oser !

          Trimer sans relâche peut être une bonne chose, à condition de faire un métier que l’on aime.
          Ou alors il faut qu’il y ait un véritable sens : « sacrifice » pour les siens, ou pour une cause, même personnelle.
          Dans ce cas précis, je pense que bien des « clients », assis de l’autre côté du comptoir, sont à plaindre.

          Facile de mourir, pas si évident…
          Certains le voudraient, et ils n’y arrivent pas.
          Et d’autres n’y pensent même pas, et hop, ça leur tombe dessus.

          Quant aux emmerdes dans ces situations, tout devrait être fait pour en être soulagé.
          Et c’est tout le contraire qui se passe.

  2. Avatar photo

    Encore un brave type qui s’est tapé 60,70 heures par semaine pendant 40 ans et qui a brutalement payé l’addition.
    Je me demande à quoi ressemblera le tissu social quand il n’y aura plus que des petits technocrates mesquins refusant de dépasser les sacro saintes 35 h par semaine.

    1. Avatar photo

      Pas 60/70, mais 87 heures par semaine !

      Exact, addition brutale.

      Et j’imagine tout ce qui arrive derrière pour la malheureuse épouse…
      Notaire, succession, taxation à outrance.
      Le tout au moment où il a tout voulu « réaliser », en pleine cession d’établissements.

      Bref, de quoi se poser de sérieuses questions quant au fait de trimer toute sa vie dans cette société à la con.
      (Nous en parlions voilà peu sur le lâcher-prise)

      PS : Les petits technocrates aux 35 heures, sont justement ceux qui vous/nous poussent au burnout / pétage de plomb / crise cardiaque / AVC.

  3. Avatar photo

    Ce monsieur a tiré proprement sa révérence, il est retourné à la source avec tout le confort, et le loisir de vous envoyer ses bonnes pensées.

    Un proverbe indien dit : « tout ce qui n’est pas donné est perdu ».

    Il est parti avec un beau pactole :-)

    Pour ceux qui restent, et respectent, il y a le poids d’une perte à gérer.

    Pour les autres, le cirque continue, comme on dit…

    Bel hommage, et tant pis pour ces autres.

    1. Avatar photo

      Vous avez bien raison sur le terme « proprement », ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
      Il était apprécié par son personnel, et certaines personnes le « suivaient » professionnellement depuis plus de dix ans.

      Nous sommes bien loin des mauvaises pratiques habituelles de l’hôtellerie/restauration.
      Ou du « monde » de certains bars.

      Il y avait volonté sincère de poser les valises, et de profiter un peu de la vie, autrement que par le boulot…
      Et le tapis a été tiré, comme ça, violemment, brutalement.

      Pendant ce temps, des escrocs continuent à bien vieillir, eux.
      (Je citais récemment un promoteur-escroc qui continue ses œuvres à 70 piges)
      Et ne parlons même pas des vieux caciques du Sénat, de l’Assemblée nationale, ou des perchoirs régionaux, départementaux, communaux…

      Une chose à souligner…
      Le stress que l’on nous impose au quotidien, de différentes manières, est un poison violent.
      Je pense que cela a joué dans ce cas.
      Et cette société mortifère a gagné : une vie de cotisation, pour zéro retraite et étrillage financier immédiat !

      Vous avez raison, c’est un hommage que je rends.

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