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Cible Emploi, Trajectoire Emploi et abus

La patate est servie« Accompagnement » à 3 mois (Cible Emploi) ou à 6 mois (Trajectoire Emploi), vous connaissez ?

Vous savez, ces dispositifs qui signifient que l’on oriente les demandeurs d’emploi vers des « OPP » (Opérateurs Privés de Placement), qui ont remporté le marché sur appels d’offres.

Cela permet de « soulager » les conseillers Pôle Emploi, tout en assurant (officiellement) un meilleur taux de retour à l’emploi.

Des entreprises de Travail Temporaire et d’autres opérateurs coutumiers du marché se sont précipités pour remporter ce gâteau, avec à la clef des exclusivités locales.

Au-delà d’une éventuelle bonne idée et des bonnes intentions affichées, il y a malheureusement des effets pervers, à regretter dans un tel cadre.

Soulevons-en trois…


Précarité des emplois créés ou maintenus pour mettre en œuvre le dispositif

Les OPP devraient disposer de personnel compétent et motivé pour aider les demandeurs d’emploi…

Malheureusement, chassez le naturel et il revient au galop, la plupart des emplois dans les OPP sont le plus souvent assurés par des intérimaires, et au mieux par des personnes en… CDD (Contrat à Durée Déterminée).

Les salaires, faibles, sont cohérents avec le statut des intervenants.

Cela explique le profil des « Consultants », leur (manque de) motivation et le turn-over qui va avec.

Le demandeur d’emploi (ne disons pas « chômeur ») est une marchandise manipulée par des employés soumis aux mêmes règles que dans d’autres secteurs comme la grande distribution.

L’excuse ? Ces dispositifs sont limités dans le temps (déjà celui du marché sur appels d’offres), « Nous ne pouvons donc pas nous engager ! »

Des emplois précaires pour aider des gens à la recherche d’un emploi non précaire, cherchez l’erreur !


Des dispositifs souvent déclenchés au mauvais moment

Curieusement, le personnel de Pôle Emploi (incluant les responsables qui fixent les objectifs, et objectifs atteints = primes) oriente bien souvent le « bénéficiaire » vers ces dispositifs quand ça n’est plus nécessaire.

On l’oriente vers Cible Emploi pour apprendre à faire un CV alors qu’il en a déjà envoyé mille (donc connu et grillé des éventuels recruteurs, ou alors le CV est bon et le souci est ailleurs).
Épuisé, laminé, le candidat est prêt à accepter n’importe quoi pour peu que ce soit en papillote…

On l’oriente vers Trajectoire Emploi alors qu’il est sur le point de retrouver un job…

La personne concernée se trouve souvent déstabilisée, voire humiliée :

  • Pourquoi seulement maintenant, ils auraient pu le faire avant ?
  • Pourquoi maintenant, alors que je n’en ai plus besoin, j’ai de fortes chances d’être embauché(e) dans quelques semaines ?
  • Ils veulent s’approprier ma réussite ?
  • Cela ne serait-il pas bien plus utile à d’autres ?

Au-delà de la pression des statistiques et des budgets affectés à « claquer dans l’urgence », il y a en effet des intérêts sonnants et trébuchants pour les OPP qui poussent au portillon pour qu’on leur envoie de la chair fraîche et facilement rémunératrice malgré des budgets « contraints ».
Les cas difficiles, qui en auraient vraiment besoin, ne sont donc pas envoyés vers ces opérateurs privés…


Un mode de rémunération qui pousse au crime

« Trouver un emploi », c’est flou… Et ces organismes en jouent, en orientant vers n’importe quoi, sachant que la crainte d’être « radié » pèse sur le demandeur d’emploi. D’ailleurs les intervenants ne sont-ils pas appelés des « Référents » ?

Le but est de montrer que les OPP sont efficaces, point barre !
Et s’ils sont efficaces, ils touchent leur rémunération…

D’ailleurs, dans les documents officiels et contractuels, on parle de « Suivi de la performance et contrôle qualité », avec des « indicateurs »…

Quant aux « Modalités de paiement », on parle carrément de « livrables » – Extrait d’un document décrivant le dispositif :

La prestation « Trajectoire emploi » est rémunérée de la manière suivante :

  • 50% du prix à la remise du livrable de la phase 2, sur la base de la production de la lettre de commande signée (original et une photocopie), de la charte d’adhésion signée (original), du livrable de la phase 1 (original) et du livrable de la phase 2 (original)
  • 25% du prix à la reprise d’emploi telle que définie à l’article 7 du Cahier des charges fonctionnel et technique (CCFT) applicable à la prestation considérée, sur la base de la production d’une copie du contrat de travail ou du bulletin de salaire du bénéficiaire, d’une promesse d’embauche ou d’une pièce justifiant de la création ou reprise d’entreprise
  • 25% à l’issue d’une période de maintien dans l’emploi de six mois, sur la base de toute pièce attestant du maintien dans l’emploi.

Tout cela pourrait être accepté s’il n’y avait pas triche…

  1. Vous déclarez à votre Conseiller Pôle Emploi être sur de bonnes pistes pour décrocher dans les semaines à venir un job vous convenant.
  2. Contre toute attente, il vous envoie vers un dispositif. Pas à discuter, c’est imposé, de manière explicite ou non.
  3. Vous entrez dans le dispositif, allez dans des locaux répondant à des critères obligatoires (cahier des charges), et répondez à des intervenants en situation précaire (ça fait au moins un point commun).
  4. Au bout de quelques semaines, vous décrochez le job pressenti, comme un(e) grand(e).
  5. Vous appelez votre « référent » OPP pour le prévenir.
  6. Il se montre content, voire soulagé, et vous demande une copie de votre contrat de travail ou de la promesse d’embauche…
  7. Vous raccrochez, soulagé(e) d’avoir trouvé vous-même un emploi, et content(e) de sortir de ce foutu dispositif.
  8. Vous envoyez ce document qui ne les regarde normalement pas…

En fait, vous avez fait plusieurs heureux :

  • Votre référent OPP qui, avec votre papier entre les mains, peut prouver qu’il a bien travaillé, même en ne faisant rien (ou presque)
  • L’Opérateur Privé de Placement qui, avec votre papier, peut se faire payer d’une mission vite bouclée (et pour cause) et prouver qu’il est efficace
  • L’agent Pôle Emploi qui, en soulageant son « portefeuille », a soi-disant fait preuve de professionnalisme en envoyant la bonne personne dans le bon dispositif/OPP
  • Le directeur de l’agence Pôle Emploi qui voit ses taux de réussite améliorés, avec des récompenses à la clef (budgets, primes pour lui et le personnel, promotion)
  • Les statistiques officielles du chômage, toute personne en étant « sortie » dès l’entrée dans un dispositif (changement de catégorie)
  • L’État, qui dira qu’il lutte efficacement contre le chômage

De votre côté, vous n’étiez qu’une patate chaude devenue rentable…
Quant aux patates froides, on les laisse germer* dans leur coin !

 

*Le traitement antigerminatif n’est pas si efficace que cela, vérifié sur de la Franceline à chair ferme (rouge), usage vapeur/rissolées/salade

Crédit photo : Flickr CC BY-NC 2.0 par mll

© PF/Grinçant.com (2013)

 

11 commentaires sur “Cible Emploi, Trajectoire Emploi et abus”

    1. Avatar photo

      Ils sont dans la logique du « chercheur d’emploi » que l’on préfère appeler « demandeur » (ça positionne mieux)…
      Avec la crainte du couperet sur leurs droits (s’il en reste) ou de la sanction de la radiation.
      Ce billet a été écrit suite à plusieurs cas rencontrés, avec toujours le même déroulé.
      Dans le cas où un job est en vue, être placé dans l’un de ces dispositifs est plus perturbant qu’autre chose.
      En fait, le « client » de Pôle Emploi ne sait pas ce qui se cache derrière tout ça.
      En espérant leur ouvrir un peu les yeux.

      1. Avatar photo

        Merci pour votre billet ! Il est excellent, d’autant plus qu’il est simplement factuel, et que cela suffit à montrer la perversité totale du système.
        Je le reprends ici :

        {Édit 26/01/2020 — PF/Grinçant.com : Site indisponible, lien supprimé, pas d’archive}

  1. Avatar photo

    Au fait, la Cour des Comptes vient de sortir un rapport sur le sujet ce 22/01/2013.
    Avec notamment un sous-titre : « Des dispositifs peu efficaces face à la hausse du chômage »

    Et comme de bien sûr, ils veulent réduire les « allocations » (qui sont une assurance suite à cotisations, rappelons-le) !

    Tout est ici : http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Marche-du-travail-face-a-un-chomage-eleve-mieux-cibler-les-politiques

    Pour les PDFs, c’est là : http://www.ccomptes.fr/index.php/Publications/Publications/Marche-du-travail-face-a-un-chomage-eleve-mieux-cibler-les-politiques

  2. Avatar photo

    Tout ce qui est décrit dans cet article est malheureusement exact
    J’ai du « apprendre » à faire un C.V et expliquer à ma « conseillère »comment fonctionnait le site de Pôle Emploi,celle ci d’ailleurs savait à peine se servir d’un ordinateur!
    Sinon,j’ai eu le droit par un autre organisme à des séances d’art thérapie(si si!).
    Tous ces crétins sont inutiles,méprisants et parfois agressifs et si je travaille actuellement ce n’est certainement pas grâce à eux!

    1. Avatar photo

      Voilà quelques années, j’ai même été confronté à une conseillère ANPE (ça n’était pas Pôle Emploi à l’époque) qui était incapable de transposer un emploi en code Rome…
      J’étais côté employeur et, devant mes explications, elle m’a remercié en disant que j’étais son sauveur !

      Concernant l’art-thérapie, vous n’êtes pas le seul…
      Trouvé sur le site de la Fédération Française des Arts-thérapeutes : « D’autres instances administratives ont recours aux art-thérapeutes : DDAS, CAF, Services Sociaux, Pôle Emploi, la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), l’Education Nationale (GRETA). »

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        Merci de votre réponse.
        Les psychologues ,psychiatres et autres thérapeutes sont conscients que leur pseudo-science repose sur pas grand chose de concret alors,ils essaient par tout les moyens de fourguer leur camelote à ceux qui n’y connaissent rien,du coup,c’est les plus faibles qui trinquent!
        Pendant ce temps là,on ne s’attaque pas au vrai problème:un employeur peut jeter ses esclaves du jour au lendemain sans rendre de compte à personne;les membres du Gouvernement et les exécutifs ne sont là que pour faire joli!

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          Il y a surtout comme problème que ces dispositifs Pôle Emploi sont souvent assurés par des gens qui n’ont qu’un boulot alimentaire sous-payé, et dont certains sont des jeunots sans expérience.

          Comment apporter une vraie valeur ajoutée à des personnes qui n’arrivent pas à trouver un emploi, et qui sont confrontées à de lourdes galères, quand vous n’avez quasiment aucune expérience de la vie et du monde du travail ?

          On m’a raconté récemment la confrontation entre une personne de plus de 55 ans, et un parcours (normalement) solide dans l’immobilier, avec un jeune prestataire « Trajectoire Emploi » qui visiblement découvrait tout du « vrai monde ».

          Et que dire pour quelqu’un de 55 ans d’avoir un « référent » de 23 ans ?

          Après, on comprend mieux des drames comme celui de Nantes… (Ce qui répond à la deuxième partie de votre argumentaire)

    2. Avatar photo

      Monsieur,

      Journaliste, je réalise actuellement un reportage télévisé sur Pôle Emploi.
      Ayant vu votre témoignage concernant votre passage dans un OPP, j’aurais souhaité m’entretenir avec vous de cette expérience.
      Serait il possible d’en discuter?
      Si cela vous intéresse, envoyez moi un mail à louis2b(at)free.fr

      Cordialement,

      Louis

      1. Avatar photo

        Bonjour,
        Je ne sais si vous vous adressez à l’auteur ou aux lecteurs qui auraient vécu ce genre d’expérience.
        Ce billet, un peu ancien (janvier 2013), est basé sur des faits réels, compilation d’expériences vécues et/ou recueillies ;-)
        Je laisse votre commentaire, pour ceux qui souhaiteraient témoigner…
        Cordialement.
        PF

        PS : Le message précédent émane bien d’une adresse du monde des médias, malgré le mail en Free, et vous avez assez d’indices dans le post.

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