Les locaux se veulent conviviaux.
Ils sont d’une froideur extrême.
Des individus ornent les bureaux et les guichets.
En fait de sourire, ils ne se fendent que d’une grimace.
L’endroit met mal à l’aise.
Le rapport avec l’argent n’est jamais très sain.
Surtout quand le vôtre est gardé dans cet univers kafkaïen.
Le seul sourire dont je me souvienne, c’était lors de l’ouverture de mon compte.
Il était justifié par la commission perçue par l’employé.
Depuis, plus rien.
Des relevés lorsque mon compte est fourni, des tracasseries lorsqu’il ne l’est pas.
Toutes les astuces sont bonnes pour vous piéger.
Le moindre chèque débiteur est guetté avec avidité.
Un petit employé peut éprouver le grand frisson en vous interdisant de chéquier.
Suprême raffinement, vous êtes fiché, marqué comme une bête.
La justice rendue par les banquiers !
Je n’en suis jamais arrivé là, mais il m’a souvent fallu changer de banque.
Ici, la fidélité ne paie pas.
Ici, une défaillance d’un soir peut se transformer en condamnation.
Partout, on se heurte au même système, aux mêmes sourires forcés, aux mêmes méthodes.
Si vous avez de l’argent, vous avez droit à des rodomontades.
Si vous n’en avez pas, vous avez droit à une fin de non-recevoir.
Si vous n’en avez plus, votre banquier se fait moralisateur avant de devenir président de tribunal.
Ici, c’est le royaume de l’argent.
Ici, c’est le royaume de l’arnaque.
Ici, c’est le royaume de la bêtise.
Les gens sont condescendants, car ils gèrent des milliards.
Ils oublient que ce ne sont pas les leurs.
Ils oublient que le fauché d’un soir peut devenir le milliardaire de leur espoir.
Même une prostituée mérite plus d’estime.
Vous donnez un billet et vous avez du plaisir.
Ici, vous donnez tous vos billets et vous n’avez que du déplaisir.
De nos jours, vous ne pouvez plus vivre sans banquier, la société est ainsi faite.
De nos jours, certains ne peuvent plus vivre à cause des banquiers, ainsi va la société.
Certains commettent des hold-up et risquent de longues années de prison.
D’autres font main basse sur votre argent et se rémunèrent en intérêts, ils risquent une retraite dorée.
Vous vous trompez dans vos comptes, c’est une tentative de fraude.
Ils se trompent dans vos comptes, c’est une erreur.
Vous vous expliquez par courrier, on vous répond par une lettre type.
Derrière tout cela, l’ordinateur.
De gigantesques machines.
Votre argent n’existe plus que dans la machine.
Si une banque devait rembourser tous ses clients, elle devrait leur donner un fragment de calculateur.
Ces machines prennent toutes les décisions courantes.
Dans certains cas, elles sont indécises.
Un homme vient appuyer sur une touche pour lever le doute.
Le reste est automatique.
Pendant cette fraction de seconde, l’homme a pris son pied.
Cet orgasme est le seul possible pour un banquier.
Ça y est, c’est mon tour, je vais demander de l’argent à ma banque.
J’insère ma carte dans l’automate qui orne la façade métallique de l’immeuble.
Je tape mon code secret.
Un bruit métallique.
Une trappe s’ouvre et mes billets apparaissent.
Je les prends et retire ma carte.
Je remercie et salue l’appareil.
Aucune réponse.
Mon nouveau banquier n’est même pas poli.
Je viens pourtant de caresser son sexe…
© PF/Grinçant.com (Projections 1992-1993)